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La Première Chambre civile de la Cour de Cassation s'est prononcée, le 13 juillet 2022, au sujet de la question du recours en appel des décisions du juge des tutelles statuant sur la résidence d’une personne en protection.
1 – Les faits – Résumé
11- Une personne considérée comme vulnérable a été placée sous tutelle le 3 novembre 2014.
111 - L'Union des associations familiales a été désigné en qualité de tutrice.
12 – Une ordonnance du 6 février 2017 a fixé sa résidence dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
13 - Après renouvellement de la mesure de protection – le 28 octobre 2019, - le frère de la majeure protégée sollicite - le 26 novembre 2019 - le changement de résidence de sa soeur, afin qu’elle regagne son domicile, ainsi que la désignation d’un autre membre de leur fratrie en tant que tuteur.
14 – Le 2 décembre 2019, le juge des tutelles a rejeté ses demandes.
15 - La majeure protégée et son frère interjettent tous deux appel de cette décision, mais la cour d’appel de Basse-Terre rejette ces demandes le 1er octobre 2020.
16 - Le frère forme un pourvoi en cassation, considérant qu’aux termes de l’article 475 du Code civil, la personne en tutelle doit être représentée en justice par son tuteur, alors que la cour d’appel a statué en l’absence du représentant de la majeure protégée, qui était elle-même non comparante.
2 – La Cour de Cassation
La Cour de cassation rejette le pourvoi.
3 – Le raisonnement de la Cour de Cassation - Verbatim - Points 8 et 9 de l’arrêt
31 - "Il résulte de la combinaison des articles 1239 du code de procédure civile, 430 et 459-2, alinéa 1er, du code civil que la personne sous tutelle peut exercer seule le droit de former appel des décisions du juge des tutelles statuant sur sa résidence.
32 - C'est donc à bon droit que la cour d'appel a statué sur la demande de changement de résidence de la majeure protégée, après avoir constaté que celle-ci, non comparante à l'audience, n'était pas représentée par son tuteur."
4 - Analyse Conclusive
41 - La décision de la Cour de Cassation porte sur la combinaison de dispositions qui ont rarement, si ce n'est jamais - à notre connaissance - été utilisées au support d'une démonstration juridique de la Cour.
42 - Le dispositif de la Cour de Cassation retiendra donc toute l’attention des MJPM, notamment sur les trois points suivants.
43 - Naturellement, le premier point concerne le fait que la personne en tutelle puisse donc exercer seule le droit de former appel des décisions du juge des tutelles statuant sur sa résidence.
431 - A ce titre, on pourra d’ailleurs noter que la Cour de Cassation vise uniquement l’alinéa 1 de l’article 459-2 du code civil qui dispose que « La personne protégée choisit le lieu de sa résidence. »
432 - De fait, on peut raisonnablement penser que c'est bien ce "choix" personnel de la personne qui a ouvert la voie au fait de pouvoir exercer seule le droit de former appel des décisions du juge des tutelles statuant sur sa résidence.
44 - Le deuxième point incident vient, à notre avis, de la création implicite d'une dichotomie entre les questions relevant du principe général de protection du logement d'une personne en protection (Cf. article 426 du code civil) et celles, comme en l'éspèce, relevant de la résidence de la personne.
441 - Si notre analyse est juste, ce qui restera à démontrer dans le futur, le contentieux, au sens large, lié au logement des personnes en protection ne peut que se complexifier plus avant, notamment sur les points procéduraux que la Cour de Cassation met ici en exergue.
45 - Enfin, et comme le notait le demandeur au pourvoi (Cf.16), la décision de la cour de cassation ouvre également une brèche dans le principe - assez universellement connu, quant à lui - de l’article 475 du Code civil qui dispose que "la personne en tutelle doit être représentée en justice par son tuteur".
451 – Ce point, comme le précédent, n’étant pas de nature, à terme, à clarifier le droit des mesures de protection et son intelligibilité.
46 – In fine, la décision de la Cour de Cassation revêt une dimension opérationnelle directe et importante pour les MJPM, et ce dans le domaine éminemment fondamental du logement, sachant qu'ils peuvent être amenés dans le futur à appréhender cette question pour les personnes en protection, notamment en tutelle, dont ils exercent le mandat.
5 - Références
51 - Article 430 du code civil
"La demande d'ouverture de la mesure peut être présentée au juge par la personne qu'il y a lieu de protéger ou, selon le cas, par son conjoint, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, à moins que la vie commune ait cessé entre eux, ou par un parent ou un allié, une personne entretenant avec le majeur des liens étroits et stables, ou la personne qui exerce à son égard une mesure de protection juridique.
Elle peut être également présentée par le procureur de la République soit d'office, soit à la demande d'un tiers."
52 - Article 459-2 du code civil
"La personne protégée choisit le lieu de sa résidence.
Elle entretient librement des relations personnelles avec tout tiers, parent ou non. Elle a le droit d'être visitée et, le cas échéant, hébergée par ceux-ci.
En cas de difficulté, le juge ou le conseil de famille s'il a été constitué statue."
53 - Article 1239 du code de procédure civile
"Sauf disposition contraire, les décisions du juge des tutelles et les délibérations du conseil de famille sont susceptibles d'appel.
Sans préjudice des dispositions prévues par les articles 1239-1 à 1239-3, l'appel est ouvert aux personnes énumérées aux articles 430 et 494-1 du code civil, même si elles ne sont pas intervenues à l'instance.
Le délai d'appel est de quinze jours.
Les parties ne sont pas tenues de constituer avocat."
6 – Document en ligne
Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 juillet 2022, 21-10.030, Inédit
7 – Document en lien
10 septembre 2021 - Limites contractuelles de la protection du logement de l'article 426 du code (Cour d'Appel de Toulouse)
Référence :2022081001