Dec 22•6 min read
La Cour de cassation a reçu, le 15 septembre 2021, une demande d'avis formée le 6 août 2021 par le tribunal judiciaire de Rouen, dans une instance concernant une bénéficiaire d'une mesure d'habilitation familiale et une question relative à une donation.
Le 15 décembre 2021, la Première chambre a publié l’avis en question.
1 - Énoncé de la demande d'avis - Verbatim
"L'absence de caractérisation d'une intention libérale, présente ou passée, de la personne protégée, fait-elle nécessairement obstacle à la possibilité, pour le juge des contentieux de la protection, d'autoriser la personne habilitée à la représenter de manière générale pour l'ensemble des actes relatifs à ses biens, sur le fondement des articles 494-1 et suivants du code civil, à procéder à une donation ?"
2 – Avis de la Cour de Cassation - Verbatim
"Lorsqu'une personne protégée faisant l'objet d'une mesure d'habilitation familiale est hors d'état de manifester sa volonté, le juge des contentieux de la protection ne peut autoriser la personne habilitée à accomplir en représentation une donation qu'après s'être assuré, d'abord, au vu de l'ensemble des circonstances, passées comme présentes, entourant un tel acte, que, dans son objet comme dans sa destination, la donation correspond à ce qu'aurait voulu la personne protégée si elle avait été capable d'y consentir elle-même, ensuite, que cette libéralité est conforme à ses intérêts personnels et patrimoniaux, en particulier que sont préservés les moyens lui permettant de maintenir son niveau de vie et de faire face aux conséquences de sa vulnérabilité. "
3 – Raisonnement de la Cour de Cassation - Verbatim
31 - L'article 494-6, alinéa 4, du code civil est à rapprocher de l'article 476, alinéa 1er, du même code, aux termes duquel la personne en tutelle peut, avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille s'il a été constitué, être assistée ou au besoin représentée par le tuteur pour faire des donations et qui constitue une exception au principe posé à l'article 509 de ce code, selon lequel le tuteur ne peut, même avec une autorisation, accomplir des actes qui emportent une aliénation gratuite des biens ou des droits de la personne protégée.
32 - Dans le but de mieux respecter la volonté de la personne placée sous un système de protection nécessitant en principe sa représentation, le législateur contemporain lui a ainsi reconnu une certaine liberté de disposer à titre gratuit de ses biens entre vifs, comme elle dispose d'une certaine liberté de disposer de ses biens à cause de mort. Il l'a cependant placée sous le contrôle du juge ou du conseil de famille, qui doit autoriser la libéralité.
33 - Mais, à la différence de l'article 476, alinéa 2, qui prévoit que la personne en tutelle ne peut faire que seule son testament, le tuteur ne pouvant ni l'assister ni la représenter, et qui requiert donc que la personne soit capable d'exprimer librement sa volonté au moment de sa réalisation, l'article 494-6, alinéa 4, comme l'article 476, alinéa 1er, n'exclut pas le cas où la personne protégée représentée est hors d'état de manifester sa volonté.
34 - De plus, interdire toute donation dans cette hypothèse aboutirait à geler le patrimoine de la personne jusqu'à son décès et pourrait, en constituant un frein aux solidarités familiales, s'avérer contraire à ses intérêts.
35 - A l'inverse, permettre son autorisation sans restriction reviendrait à nier le caractère personnel de la donation.
4 - Références
41 - Article 494-6, alinéa 4 du code civil
[...] "La personne habilitée dans le cadre d'une habilitation générale ne peut accomplir un acte pour lequel elle serait en opposition d'intérêts avec la personne protégée. Toutefois, à titre exceptionnel et lorsque l'intérêt de celle-ci l'impose, le juge peut autoriser la personne habilitée à accomplir cet acte."[...]
42 - Article 476 alinéa 1er du même code
"La personne en tutelle peut, avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille s'il a été constitué, être assistée ou au besoin représentée par le tuteur pour faire des donations."[...]
5 – Analyse conclusive
51 - Comme nous l’avons déjà observé, les habilitations familiales ne sont pas des éléments centraux de l'exercice des mesures de protection par les MJPM, car, par définition, elles s’adressent à un public relevant de la sphère familiale et privée.
52 – Néanmoins et malgré la particularité très ciblée de l’hypothèse abordée dans cet avis de la Cour de cassation, il intéressera les MJPM indirectement au sujet de ce mécanisme avec lequel ils peuvent avoir affaire, notamment dans leurs relations avec les tiers habilités.
53 - Incidemment, les MJPM pourront donc acter que la Cour de Cassation fixe une grille d’analyse (Cf. 2) à destination des juges aux fins de traitement des questions portant sur ce type de demande :
53 – Malgré le fait que le raisonnement soit porté sur une donation dans le cadre d'une habilitation familiale, on pourra observer que la Cour de Cassation met en parallèle (Cf. 32) - en raison du même écueil, soit l'hypothèse selon laquelle la personne protégée représentée est hors d'état de manifester sa volonté - les articles 494-6, alinéa 4 du code civil et 476 alinéa 1er du même code.
531 - De fait, il n'est pas totalement inconséquent, du moins théoriquement nous semble-t-il, de penser que la grille d'analyse portée par la Cour puisse également être mobilisé - tant par les juges en terme d'application que par les MJPM en terme d'analyse des situations individuelles - pour une personne en tutelle - et donc un MJPM tuteur en représentation - hors d'état de manifester sa volonté, pour laquelle se poserait une problématique identique.
6 - Document en ligne
Cour de cassation - Pourvoi n° V2170022 - 15 décembre 2021
7 – Document en lien
16 novembre 2021 - Habilitation familiale et donation : à manier avec prudence! (Defrenois)