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Dans une décision du 25 février 2022, le Conseil Constitutionnel vient de se prononcer sur une double question prioritaire de constitutionnalité, posée le 7 décembre dernier (Cf.81) par la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, dont l’une concerne directement l'hypothèse où une personne en protection doit être librement auditionnée.
1 – Rappel - Texte de la question prioritaire de constitutionnalité
" Les dispositions de l'article 706-112-2 du code de procédure pénale sont-elles contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment l'effectivité des droits de la défense garantie par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles ne prévoient pas que le tuteur ou le curateur, lorsqu'il est informé que la majeur qu'il protège fait l'objet d'une audition libre, soit également informé de la possibilité qu'il a de désigner ou faire désigner par le Bâtonnier un avocat pour assister le majeur protégé qui n'aurait pas lui-même souhaité faire usage de ce droit ?".
2 - Réponse du Conseil Constitutionnel
21 - La première phrase de l'article 706-112-2 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, est conforme à la Constitution. (Cf. article 2 de la décision).
3 - Raisonnement du Conseil Constitutionnel - Verbatim
31 - "Il fait par ailleurs valoir que les dispositions de l'article 706-112-2 du même code ne prévoiraient pas que le tuteur ou le curateur, lorsqu'il est avisé de l'audition libre du majeur protégé, soit informé de la possibilité qu'il a de désigner ou de faire désigner un avocat pour l'assister. Elles seraient ainsi contraires aux droits de la défense et, pour les mêmes motifs, entachées d'incompétence négative.
32 - Les dispositions contestées prévoient que, lorsque les éléments recueillis au cours de la procédure font apparaître que la personne devant être entendue librement fait l'objet d'une mesure de protection juridique, l'officier ou l'agent de police judiciaire doit aviser par tout moyen son tuteur ou son curateur. Elles prévoient également que, dans ce cas, ce dernier peut désigner un avocat ou demander la désignation d'un avocat commis d'office afin d'assister le majeur protégé lors de son audition.
33 - En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu que le majeur protégé soit, au cours de son audition libre, assisté dans l'exercice de ses droits et, en particulier, dans l'exercice de son droit à l'assistance d'un avocat.
34 - Ainsi, les dispositions contestées impliquent nécessairement que, lorsqu'il est avisé de l'audition libre du majeur protégé, le tuteur ou le curateur est informé par les enquêteurs de la possibilité qu'il a de désigner ou faire désigner un avocat pour assister ce dernier.
35 - Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense ne peut qu'être écarté.
36 - Par conséquent, les dispositions contestées de l'article 706-112-2 du code de procédure pénale, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative et qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution. "
4 – Rappel - Article 706-112-2 du code de procédure pénale
"Lorsque les éléments recueillis au cours d'une procédure concernant un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement font apparaître qu'une personne devant être entendue librement en application de l'article 61-1 fait l'objet d'une mesure de protection juridique, l'officier ou l'agent de police judiciaire en avise par tout moyen le curateur ou le tuteur, qui peut désigner un avocat ou demander qu'un avocat soit désigné par le bâtonnier pour assister la personne lors de son audition. Si le tuteur ou le curateur n'a pu être avisé et si la personne entendue n'a pas été assistée par un avocat, les déclarations de cette personne ne peuvent servir de seul fondement à sa condamnation."
5 – Analyse
51 - Sur le fond, les débats sont légèrement différents de ceux ayant successivement portés sur la garde à vue (2018), la perquisition et l’audience devant le juge de l'application des peines ayant eu lieu entre 2017 et 2021 (Cf. 8).
52 - Le Conseil note ainsi (Cf. 34) que « les dispositions contestées impliquent nécessairement que, lorsqu'il est avisé de l'audition libre du majeur protégé, le tuteur ou le curateur est informé par les enquêteurs de la possibilité qu'il a de désigner ou faire désigner un avocat pour assister ce dernier. »
53 – Dans le même temps, le dernier alinéa de l’article (Cf. 4) dispose quant à lui que « Si le tuteur ou le curateur n'a pu être avisé et si la personne entendue n'a pas été assistée par un avocat, les déclarations de cette personne ne peuvent servir de seul fondement à sa condamnation. »
54 – La solution dégagée (Cf. 52 et 53) est donc juridiquement et théoriquement homogène et cohérente.
55 - Néanmoins, les complexes règles de procédure pénale se heurtent toujours aux modalités pratiques et concrètes de délivrance d’un avis au tuteur ou au curateur, comme le notait le Défenseur des Droits en 2021 ( Cf. 6).
551 - En la matière, seules les questions de mise en pratiques peuvent désormais subsister (Cf. 63).
56 – En complément, on peut d'ailleurs rappeler que la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, publiée au JO du 23 décembre 2021, a clarifié - après quasiment le même type de questionnement qu'en l'éspèce - la question de l'avis au tuteur ou au curateur en matière de perquisitions, de poursuites pénales et d'alternatives aux poursuites pénales (Cf.82).
6 - Observations - Rappels
61 – Dans son avis du 11 mai 2021 (Cf. 83), le Défenseur des Droits notait que « pour assurer l’accompagnement ou la représentation de la personne majeure protégée, il est indispensable de pouvoir identifier et informer le tuteur ou le curateur. Or, à ce stade, et à défaut de répertoire dématérialisé centralisé des mesures de protection judiciaire, la recherche d’une telle information par les officiers de police judiciaire est peu aisée."
62 - Selon cette Institution "Elle [la recherche d’une telle information] suppose de solliciter, préalablement à la tenue d’une perquisition réalisée dans le cadre d’une enquête préliminaire, un extrait intégral d’acte de naissance dans la commune du lieu de naissance de l’intéressé, puis de solliciter le juge des contentieux de la protection compétent, seule personne susceptible de communiquer l’identité du tuteur ou du curateur. »
63 – De fait, entre les règles de droit actualisées par le législateur et les opérations de terrain, et les temporalités de ces dernières, la question des avis au curateur ou au tuteur, dans le cadre d'actes ou d'opérations relevant du champ de la procédure pénale, ne semble pas encore totalement purgée de ses écueils.
7 - Document en ligne
Décision n° 2021-975 QPC du 25 février 2022
8 – Documents en lien - Accès abonnés
81 - 24 janvier 2022 - Exercice des Mesures - Protection au Pénal - Audition(s) d'une personne en protection - Questions Prioritaires de Constitutionnalité (Cour de Cassation)
82 - 27 décembre 2021 - Exercice des Mesures - Protection au Pénal - Avis au tuteur ou au curateur en matière de perquisition (1) et d'alternatives aux poursuites pénales (2)
83 - 11 mai 2021 - Exercice des Mesures - Protection au Pénal - Avis sur le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire - Défenseur des Droits
84 - 12 février 2021 - Exercice des Mesures - Protection au Pénal - Audience devant le juge de l'application des peines - Inconstitutionnalité (Conseil Constitutionnel)
85 - 18 janvier 2021 - Exercice des Mesures - Protection au Pénal - Perquisition d'une personne en protection - Inconstitutionnalité (Conseil Constitutionnel)
Référence :2022022801