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Un article visant à relativiser l’importance d’un essai clinique sur la vitamine D dans la prise en charge de la COVID-19 circule dans différents médias québécois. Comme je l’ai souligné dans un article couvert par l’Agence Science-Presse, les différents décrypteurs, démystificateurs et vulgarisateurs qui tentent d’aider la population à s’y retrouver dans le déluge d’information relative à la COVID peuvent parfois manquer de rigueur, dans l’intention, fort louable, de la protéger de l’errance.
C’est ce qui se produit une fois de plus avec cet article.
Voici les erreurs et approximations les plus importantes contenues dans cet article.
FAUX
À partir du mois d’octobre, le soleil est trop bas dans le ciel pour dispenser la quantité de rayons UVB nécessaires à la production de vitamine D. Il y a déjà 6 ans, en entrevue à La Presse, dans la chronique de vulgarisation La docteure répond (« Trouver sa vitamine D en hiver », La Presse, 2 décembre 2014), la Dre Chantal Guimont expliquait :
J’ai longtemps cru que l’exposition du visage et des mains lors d’une belle journée froide d’hiver était amplement suffisante pour obtenir la dose recommandée de vitamine D. J’étais dans l’erreur. Il est maintenant bien établi que tous les Canadiens sont en déficit de vitamine D d’octobre à avril. Le dosage sanguin est d’ailleurs inutile. En fait, tous les individus vivant au nord du 35e parallèle sont en déficit de vitamine D en hiver. Cela serait dû à l’angle du soleil sur la Terre, qui ne permettrait pas à la peau de recevoir suffisamment de rayons UVB pour les transformer en vitamine D.
La Dr Guimont recommande l’usage de suppléments, car l’alimentation ne peut, sans dangers, combler ce manque : « Par contre, la quantité de vitamine D contenue dans ces aliments [contenant de la vitamine D] ne permet pas d’atteindre la dose quotidienne recommandée, à moins de prendre une quinzaine de verres de lait par jour ! ».
FAUX
Comme en fait preuve l’article de la Dr Guimont, il n’est pas obligatoire de consulter son propre médecin. Tous et toutes n’ont pas la chance d’avoir accès à un médecin. (En outre, les pharmaciens ayant accès au dossier médical de la personne peuvent émettre des recommandations plus personnalisées.)
De plus, les professionnels de la santé et les organisations savantes et gouvernementales émettent des recommandations de supplémentation visant la population en général. En 2011, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) rappellait les recommandations, toujours d’actualité, de la Société canadienne du cancer, notamment que :
Les adultes présentant des risques plus élevés de carences en vitamine D considèrent la prise d’un supplément de 1 000 UI par jour de vitamine D, et ce, durant toute l’année. Ces personnes sont les suivantes :
L’INSPQ ajoutait que 4000 UI était l’apport maximum tolérable selon Santé Canada.
Ainsi, le Détecteur de rumeurs
Pour ce qui est de l’interaction entre le manque de vitamine D et la COVID-19, le Détecteur de rumeurs s’adonne au picorage (cherry picking) :
INCOMPLET, LECTURE SÉLECTIVE
On l’aura compris, la tempête inflammatoire (cytokine storm) est un phénomène rare auquel les intensivistes sont confrontés, et la population, à laquelle s’adresse l’article, n’a pas à s’en préoccuper. Pourtant, une source fournie par le Détecteur de rumeurs indique que la vitamine D agit bien en amont de cette catastrophe immunitaire. L’étude allemande parue en août que mentionne le Détecteur de rumeurs explore au niveau moléculaire les interactions entre les différents facteurs de risque de COVID-19 et de manque de vitamine D concomitants (âge, hypertension et autres maladies cardiovasculaires, diabète et obésité), bien avant que la tempête inflammatoire apparaisse. L’étude décrit, avant cette crise inflammatoire, l’interaction entre la vitamine D et le SARS-CoV2 dès l’entrée du virus dans les cellules, au niveau du système rénine-angiotensine (section 1.6). Elle décrit également l’importance de la vitamine D dans une foule de mécanismes immunitaires, dont la production de cathélicidines, actives contre les coronavirus (pour une description détaillée, voir la section 1.2, « Vitamin D and immune system »). Pourquoi le Détecteur de rumeurs n’a-t-il insisté que sur une « théorie » liée à la rare et redoutable tempête immunitaire, alors que la vitamine D, une des carences les plus répandues au monde, influence si profondément l’immunité et, plus précisément, certains mécanismes mis en jeu dès l’infection au SARS-CoV2? Pourtant, toutes ces considérations étaient mentionnées dans la source du Détecteur de rumeurs.
VRAI, MAIS INDUIT EN ERREUR
Toujours au sujet de cette étude allemande, le Détecteur de rumeurs conclut en affirmant qu’en absence d’études cliniques (satisfaisantes), nous ne pouvons pas agir (sinon en allant s’exposer le bout du nez et des doigts dans un soleil d’automne). Or, le Détecteur de rumeurs omet de le préciser, mais cette étude allemande recommande, dans la section « 1.15. Therapeutic aspects », l’atteinte d’une concentration de vitamine D supérieure à 75 nmol/L.
D’après une étude de 2017 dans le journal Dermatoendocrinology (tableau 1), pour atteindre cette concentration, les personnes ayant un indice de masse corporelle (IMC) dans les normales devraient consommer entre 10 000 et 12 000 UI de vitamine D par jour (ou s’exposer au soleil ou à des UVB pour obtenir des quantités équivalentes) pour obtenir de telles concentrations, et les personnes en surpoids et obèses devraient dépasser les 12 000 UI par jour. Les doses que l’étude allemande citée par le Détecteur de rumeurs recommande pour atteindre des concentrations normales, physiologiques, sont donc 10 à 12 fois plus élevées que la Société canadienne du cancer recommande (1 000 UI).
Passons à l’étude espagnole qui a donné lieu à cet article (« Effect of calcifediol treatment and best available therapy versus best available therapy on intensive care unit admission and mortality among patients hospitalized for COVID-19: A pilot randomized clinical study », Castillo ME et coll.).
Commençons par une erreur ou maladresse alléguée, qui serait grave si elle avait eu lieu :
Des charlatans ne s’y seraient pas pris autrement : distribuer les plus malades dans le groupe non traité et les moins malades dans le groupe traité, pour vendre le traitement de prédilection.
Or, les chercheurs de l’étude ont expliqué que, voyant que le processus de distribution aléatoire (randomisation) avait donné le résultat suivant :
ils ont procédé à une analyse permettant de compenser cette mauvaise donne obtenue au tirage au sort, appelée analyse de régression logistique multivariée. L’analyse a confirmé l’effet hautement protecteur de la vitamine D sur le plan de la probabilité de passer aux soins intensifs.
Il ne s’agit pas d’une réaction des experts, mais d’une limitation de l’étude qui a été signalée par les auteurs, et à laquelle ils ont opposé des arguments qui nous sont maintenant familiers : a) ils n’ont pas été en mesure d’obtenir les concentrations de vitamine D, mais le manque de vitamine D était de toute façon répandu dans la région où l’étude à été menée (Cordoue) au moment où elle a été menée, b) les patients ayant un syndrome de détresse respiratoire aiguë ou requérant des soins intensifs sont fréquemment très carencés en vitamine D, et c) la gravité des symptômes de COVID-19 est associée à la gravité du manque de vitamine D.
D’autres aspects de l’entreprise de réfutation du Détecteur de rumeurs sont sans doute valables, mais les objections relativement valables, mais mineures sont éclipsées par les erreurs, imprécisions, picorages et contrevérités du Détecteur :
Quant à la valeur statistique de l’étude espagnole, comme son titre l’indique, il s’agit d’une étude pilote; cependant, le nombre de patients doit être mis en contraste avec les effets du traitement, qui demeurent, après ajustement statistique, remarquables, ainsi qu’avec son innocuité (nous sommes en présence d’une insuffisance vitaminique avérée). L’essentiel est que les nombreuses (et non pas les « quelques ») études épidémiologiques ayant montré une corrélation entre gravité de la COVID-19 et gravité du manque de vitamine D ne peuvent plus être rangées dans la catégories des corrélations sans causalité.
La priorité absolue est de prévenir un engorgement du réseau de la santé et, en particulier, des unités des soins intensifs. Ce n’est pas d’obtenir une preuve limpide de l’efficacité de la vitamine D contre la COVID-19. Les données épidémiologiques accumulées depuis mars 2020 indiquent qu’il existe un lien entre un problème de santé publique avéré, l’hypovitaminose D, et la gravité des symptômes de COVID-19. La récente étude interventionnelle espagnole indique que ce lien est causal. L’avenir nous dira si les effets de l’hypovitaminose D et de la supplémentation sont modulés par d’autres facteurs. Le 10 septembre dernier, le Dr Anthony Fauci, chef de la cellule de crise sur la COVID-19 de la Maison-Blanche, affirmait qu’il prenait de la vitamine D parce qu’elle diminue la susceptibilité aux infections, et qu’il n’hésiterait pas à recommander cette vitamine. Il soulignait ainsi que la vitamine D est non seulement thérapeutique, mais prophylactique. C’est dire qu’une des personnes les plus influentes dans la lutte contre la COVID sur la scène internationale contrairement au Détecteurs de rumeurs, sait faire la part des choses, dans l’état actuel de la recherche et comprend que la santé de la population passe avant la recherche d’une preuve parfaite. La Santé publique du Québec saura-t-elle agir de manière aussi pragmatique?